Hannibal
Bernard Sobel
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De Christian Dietrich Grabbe
Texte français et adaptation Bernard Pautrat
Mise en scène Bernard Sobel
Collaboration Michèle Raoul-Davis
Décor Lucio Fanti
Costumes, coiffures et maquillage Mina Ly
Lumière Dominique Borrini
Son Bernard Vallery
Assistante à la mise en scène Mirabelle Rousseau
Assistante au décor et régie générale Clémence Kazémi
Assistante aux costumes Isabel Fortin
Assistante au maquillage Emilie Vuez
Couturières Marie-Pierre Monnier, Marie Noëlle Peters
Habilleuses Marie Noëlle Peters
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Ci-contre : Jacques Bonnaffé, Yann Lefeivre et Claude Guyonnet
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avec :
Sarah Amrous, Jacques Bonnaffé, Romain Brosseau, Eric Castex, Pierre-Alain Chapuis, Laurent Charpentier, Jean-Claude Jay, Simon Gauchet, Claude Guyonnet, Yann Lefeivre, Vincent Minne, Anaïs Muller, François-Xavier Phan, Tristan Rothhut, Gaëtan Vassart.
production :
Compagnie Bernard Sobel (compagnie aidée par le Ministère de la Culture et de la Communication/DGCA)
Coproduction : Théâtre de Gennevilliers, centre dramatique national de création contemporaine, Théâtre Liberté-Toulon, Centre dramatique national Orléans/Loiret/Centre, Théâtre National de Strasbourg.
Avec la participation du Théâtre National de Bretagne et avec le soutien de la ville de Gennevilliers.
La compagnie Bernard Sobel bénéficie du soutien de la Ville de Paris.
Le texte est édité aux éditions de L’Age d’Homme.
Le décor est réalisé par les ateliers du Théâtre National de Strasbourg et par l’atelier Devineau.
Remerciements : François Devineau et Odile Blanchard (Les ateliers Devineau), Eric Argis responsable du département lumière au Théâtre National de l’Odéon, Isabelle Imbert du service accessoire du Théâtre National de La Colline, Michel-Ange Crozon du service accessoire du Théâtre National de Chaillot, Elisabeth Honoré-Sauerteig régisseur costumes à la MC93.
Création du 13 Septembre au 4 Octobre 2013 au Théâtre de Gennevilliers
Il sera par la suite en tournée :
Du 10 au 19 Octobre 2013 au Théâtre National de Strasbourg,
Les 22 et 23 Novembre 2013 au Théâtre Liberté Toulon,
Et du 4 au 6 Décembre 2013 au Centre Dramatique National Orléans/Loiret/Centre
Presse
10.09.2013 Libération
17.09.2013 Libération
02.10.2013 Télérama
02.10.2013 Télérama_Sortir
03.10.2013 La Vie
18.09.2013 Rue 89
18.09.2013 Le Nouvel Obs
20.09.2013 Le Figaro
05.10.2013 Les Dernières Nouvelles d’Alsace
Production et diffusion Scènarts – Contactez Rémi Jullien
Le peuple est un phénomène étonnant. Il est composé d’individus et ceux-ci ne sont en général que médiocrement doués et ne comprennent que médiocrement et de façon partiale ce qui se présente à eux. Et cependant, c’est toujours dans le peuple considéré comme un tout, que l’on rencontre les vues et les réactions justes.
C.D. Grabbe
À propos de la correspondance Goethe-Schiller
La guillotine de la Révolution ne fonctionne pas et son tranchant rouille – avec lui rouillent aussi beaucoup de grandes choses, et le commun, dans la certitude qu’on ne peut plus lui trancher la tête, la redresse comme une mauvaise herbe. Le tonnerre des batailles de Napoléon a aussi fini de résonner. Ses ennemis ne pensent plus à lui parce qu’ils ne le voient ni ne l’entendent plus. Les amis qui l’ont connu meurent peu à peu. De jeunes enthousiastes admirent bien l’éclat de ses guerres dont certains témoins oculaires ont encore su leur faire le récit, ils n’en comprennent pas moins difficilement son caractère, son message et son époque.
Avec la fin de Napoléon, c’est comme si le monde était devenu un livre non lu jusqu’au bout, que nous en ayons été expulsés, comme des lecteurs et que nous ressassions et réfléchissions à ce qui avait eu lieu. Nous ne l’avons pas encore assimilé in succum et sanguinem, pas plus que ne l’ont fait les fabricants de résumés historiques et les montreurs de boites à images dont font en particulier plus ou moins partie les historiens allemands.
Dans ces conditions qu’espérer ? du moins de nos compatriotes ?
Le compte-rendu rédigé par un loufiat quelconque leur importe souvent plus que le livre dont il est rendu compte – pour la raison justement que c’est un compte-rendu. Ils préfèrent découvrir une plante à partir du système de Linné qu’à partir de la nature elle-même, parce que ainsi elle fait partie d’un système. Ils se comportent de façon rigoureusement analogue pour ce qui est des évènements du monde.
C.D. Grabbe
Fils d’un gardien de prison de la petite ville de Detmold, Christian Dietrich Grabbe ne parvint jamais à se défaire de l’habit trop serré de cette enfance et de cette ville. Une seule de ses pièces fut jouée de son vivant, sans succès et sa vie fut une tragédie brève et misérable. Il se savait l’inventeur d’une nouvelle forme de théâtre et si Heine reconnut son génie, si plus tard, Jarry plaça Plaisanterie, satire, ironie et signification plus profonde dans la bibliothèque du docteur Faustroll, puis Breton un extrait de cette même pièce dans l’Anthologie de l’humour noir, il reste encore aujourd’hui méconnu.
Jean-Christophe Bailly
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Si vous allez chez Monsieur Grabbe, dites-lui que je vous envoie et comportez-vous avec prudence. C’est un drôle de zèbre mais on doit le prendre comme il se présente et on doit avoir toutes les délicatesses possibles car il est poète. Pas un poétaillon qui prodigue pour le monde de douceâtres chants d’amour et des hymnes au printemps ou des comédies de bon ton et qui, une fois peut-être, vous mijote une tragédie à vous brouiller les yeux, un embrouillamini dans le sens le plus strict du terme. Grabbe nous apporte des colosses, parfois bien rébarbatifs, mais toujours grandioses. Les adieux d’Hannibal à sa ville natale, cet unique discours, vaut plus que des volumes de poètes modernes : donc un comportement prudent et poli.
L’acteur Greenberg à H.E. Reinhardt, le 29 octobre 1830.
(préface à l’édition des œuvres de Grabbe – L’Age d’Homme 1982)
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L’homme, au fond, n’est rien ; il n’est que souvenir ou espoir ; ce que l’on nomme le présent est une chose hideuse que l’on remarque à peine…
C. D. Grabbe
Nous, dans l’Histoire
J’aime chez Grabbe que l’Histoire, lointaine ou proche, soit sa matière poétique, non comme un refuge contre le présent, mais pour mieux le comprendre.
J’aime qu’il prenne la matière historique à bras le corps, à l’échelle de l’Europe ou à celle de son équivalent pour le monde antique, le bassin méditerranéen. Mais c’est une pensée qui vient d’en bas et du fond d’une prison, celle dont son père était gardien et où il a grandi, dans une petite ville de province dont il n’a pu s’échapper ; et l’histoire des hommes est autant pour lui celles des petits que des grands, celle du marchand de poisson et celle du stratège génial, à égalité. Son œuvre abonde de personnages aussi inoubliables que les fossoyeurs d’Hamlet.
J’aime, dans nos époques faites de tsunamis successifs, politiques, économiques, philosophiques, écologiques, quand la survie même de l’espèce et celle de la planète sont en question, son refus de l’espérance comme celui du désespoir, puisque de toute façon, au présent, l’avenir est indécidable.
Le théâtre, toujours, en commençant par les Grecs, frappe à cette porte mystérieuse du sens et du non sens.
Grabbe a inventé un outil qui,sans mise en œuvre de moyens extraordinaires, nous permet de « voir » de grands évènements de l’histoire des hommes qui ont moins besoin d’être montrés que donnés à réfléchir et à comprendre. Grabbe prend l’Histoire, et même la très grande Histoire, pour matière, il n’écrit pas de pièces historiques, à la différence d’un Hugo ou même d’un Schiller.
Et je n’hésiterai pas à dire de Grabbe qu’il est mon contemporain, « absolument moderne » comme Rimbaud, ayant forgé un théâtre qui dans son texte et sa méthode nous permet d’affronter l’aléatoire de notre univers et de notre condition.
Face à la mondialisation, au retour du religieux, la recherche de refuges « hors du monde », Grabbe est aussi nécessaire qu’Eschyle, toujours aussi « moderne » que lui.
Oui, dit Grabbe, nous sommes dans ce monde et il n’y en a pas d’autre. Il est impitoyable, sans nostalgie comme sans illusions. Son théâtre rompt avec la métaphysique, la morale et la psychologie. Il le fait brutalement et va dans ce sens bien plus loin que Büchner. Cela explique sans doute son moindre succès.
En 1929, Freud, réfléchissant sur ce qu’il qualifie de Malaise dans la civilisation, cite « … ce poète original qui, en guise de consolation, en face d’une mort librement choisie, fait dire à son héros : « Nous ne pouvons choir de ce monde. » C’est une citation de l’Hannibal de Grabbe : « Nous ne tomberons pas hors du monde, puisque nous sommes dedans. » et ce n’est certes pas un hasard. Ces paroles pour moi font écho à cette phrase de Marx dans La Critique de la philosophie du droit de Hegel: « L’exigence de se débarrasser des illusions sur le sort qui nous est dévolu n’est rien d’autre que l’exigence de se débarrasser d’un état des choses qui fait qu’on a besoin d’illusion. »
Grabbe a vécu une vie douloureuse et brève, dans une époque de gueule de bois historique. Il aurait eu les meilleures raisons du monde d’être désespéré. Il y a de la fureur, de l’extravagance, du grotesque, dans sa vie et dans son théâtre, mais jamais de tragédie ou alors c’est du « théâtre », le mauvais théâtre qu’il désigne comme tel du lâche Prusias couvrant de son manteau rouge le cadavre d’Hannibal, l’hôte qu’il a trahi.
Hannibal nous raconte la défaite d’un homme, la fin, la destruction par le fer et le feu d’un monde, tout comme Napoléon nous racontait l’apparente retombée des peuples d’Europe dans les vieux esclavages à l’issue de Waterloo. Familier de Shakespeare, auteur de la Shakespearomania, l’histoire des hommes est pour lui aussi » une histoire pleine de bruit et de fureur, ne signifiant rien « , et il affirme furieusement contre toute la philosophie de l’Histoire de Hegel – qu’il exècre – qu’elle n’a ni sens ni signification. Ce qui ne signifie pourtant jamais qu’il faille renoncer à agir, baisser les bras devant l’absurde. Il n’y a pas d’absurde chez Grabbe, il y a des intérêts, de la lâcheté, de la bêtise, de l’énergie, de la fatigue, de l’ambition, du grotesque, des erreurs, de mauvais choix, mais ni absurde ni tragique.
Grabbe nous raconte des histoires dont nous connaissons l’issue. Il n’y a aucun suspense. Comme les Tragiques grecs, il s’attache à montrer comment les choses adviennent, le plus souvent en raison de mauvais choix, d’erreur de jugement. Mais sans fatalité : si les dirigeants de Carthage avaient compris plus tôt la nécessité de soutenir Hannibal, s’ils avaient envoyé plus tôt des renforts, si Hasdrubal n’avait pas commis l’erreur de suivre le même chemin qu’Hannibal à travers les Alpes, le cours de l’histoire eût été réellement différent… Même le suicide d’Hannibal n’a rien de tragique en soi. C’est Prusias qui fait d’Hannibal mort un personnage de tragédie classique. Hannibal, lui, envisage son suicide, dès le début de la pièce, comme une issue ultime et raisonnable. Et je pense à cette réflexion de Jean-Pierre Vernant, dont je ne sais plus d’où elle vient mais qui m’avait frappé et que j’avais notée: « Voici donc une solution à la condition humaine : trouver par la mort le moyen de dépasser cette condition humaine, vaincre la mort par la mort elle-même, en lui donnant un sens qu’elle n’a pas, dont elle est absolument dénuée. »
En quelques mots un peu trop longs, voilà pourquoi vouloir aujourd’hui monter Grabbe, auteur allemand toujours quasi inconnu du début du XIXème siècle, contemporain sans succès de Büchner, un raté, un furieux alcoolique mort à 35 ans, auteur de sept pièces dont quatre inachevées et toutes réputées injouables. Et monter qui plus est Hannibal, une pièce dont l’action se déplace d’Italie en Espagne, de Carthage jusqu’en Asie mineure, entre le second et le premier siècle avant Jésus-Christ, qui met en scène, outre les sacrifices humains à Moloch, la chute de Numance et l’incendie de Carthage.
Et puis « merdre » comme disait notre bon Jarry qui lui au moins a pris la peine de traduire Plaisanterie, satire, ironie et signification plus profonde de notre original.
Bernard SOBEL
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Hannibal n’est pas une pièce historique ; même si la matière de l’œuvre est celle du conflit qui opposa– à l’échelle du monde de l’époque – Rome et Carthage entre le IIème et le Ier siècle avant Jésus-Christ ; même si Grabbe suit le parcours du principal protagoniste de ce conflit, Hannibal, le général carthaginois qui fit trembler Rome, de sa victoire à Cannes sur les romains à sa fuite et son suicide en Bithynie.
Les libertés que prend Grabbe avec la réalité historique, la synthèse qu’il opère sur les évènements, les personnages, la chronologie, alors même qu’il en a parfaitement connaissance, traduisent clairement son projet : comme avec Napoléon ou les Cent-Jours, revenir sur les évènements qui, de l’Espagne à la Russie, ont secoué l’Europe de son enfance et de son adolescence. Après un passé tout proche, ce détour par l’antiquité, loin d’être un refuge contre un présent décevant, est la prise de distance qui lui permet de mieux le réfléchir et le comprendre.
Grabbe a une pensée de l’histoire. Mais il n’écrit pas de traités d’économie politique ni de grandes synthèses théoriques. Matières mortes et vaines, il n’a pour elles que mépris. Il utilise le moyen du théâtre, du poème dramatique, pour, de façon vivante, réfléchir, méditer, en philosophe et en stratège autant qu’en poète, sur cette matière dont il a été et continue d’être témoin, l’impérialisme, la conscience ou l’absence de conscience nationale, le sens de l’État, le jeu des intérêts et, plus généralement, sur l’homme dans l’histoire, le rôle des peuples, celui des grandes individualités.
L’époque est sombre. Après Waterloo, la réaction triomphe apparemment partout en Europe. Le monde ressemble beaucoup à la prédiction de Napoléon : une morne retombée dans les vieux esclavages. Le réveil des peuples, les espérances de libération et d’unité nationale, tout semble bien loin désormais. Les intérêts privés priment, semble-t-il, partout.
Et Grabbe lui-même, malgré la reconnaissance et le soutien de quelques-uns, a échoué à faire reconnaître son génie. Il est presque arrivé au terme de sa courte vie. Mais la grandeur de cet homme et de son œuvre, c’est que l’échec apparent, l’absence totale d’illusions ne le conduisent pas, non plus que son personnage, au renoncement. Il éructe, grince des dents, ironise ; il ne désespère pas et va au bout du possible.
Dès le début de la pièce, alors même qu’il vient de remporter une victoire peut-être décisive sur les romains, Hannibal, chez Grabbe, sait que la défaite et la mort sont au bout de son chemin et dès ce moment il prépare sa sortie de scène, son suicide. Et pourtant cette conscience de l’échec quasi certain ne l’empêche pas de faire tout ce qu’il est humainement possible pour triompher.
Comme son personnage, Grabbe refuse et le désespoir et l’espérance, l’un et l’autre clairement désignés comme des illusions. Il continue de faire ce qu’il a à faire, écrire, et sans repli sur lui-même, sans souci d’un avenir indécidable – il ne croit ni en des lendemains qui chantent ni en aucun au-delà- -, il persévère sans renoncer à aucune de ses ambitions. L’échec, pour Grabbe, ne rend pas l’effort dérisoire.Cette attitude est aujourd’hui plus que jamais exemplaire.
Michèle Raoul-Davis