Chroniques de la montagne
CHRONIQUES DE LA MONTAGNE…
D’après les chroniques de la montagne d’Alexandre Vialatte
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Adaptation : Jacques Nichet
Mise en scène : Charles Tordjman
Scénographie : Vincent Tordjman
Lumières : Christian Pinaud
Costumes : Cidalia da Costa
Musique : VICNET
Maquillages : Cécile Ktretschmar
Avec : Clotilde Mollet, Christine Murillo, Dominique Pinon
Création au Théâtre de Vidy-Lausanne en Mars 2012
Production : Compagnie Fabbrica
La compagnie Fabbrica est subventionnée par le Ministère de la Culture – DGCA, le Conseil Régional de Lorraine et le Conseil Général de Meurthe-et-Moselle.
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NOTES…
« C’est en présence de l’éléphant que l’homme sent vraiment qu’il n’a pas de trompe et pas de défenses. C’est en présence de l’éléphant qu’il se rend compte également qu’il porte des bretelles (le pantalon de l’éléphant retombe sur les talons) L’homme est le seul animal qui porte des bretelles ; c’est ce qui le distingue nettement du hanneton, du boa , du chien, de la poule, du hareng saur ».
Alexandre Vialatte
« Rien n’est plus beau à voir que l’homme sur les montagnes quand il mange avec ses enfants du lapin mort dans des assiettes en plastique bleu. Il a les mollets nus et des sandales romaines. Il se grise d’idéal. Il tranche le cervelas. Il fait circuler la bouteille. Il jette au vent les épluchures de saucisson ».
Alexandre Vialatte
Depuis sa vingt-et-unième année et jusqu’à sa mort, Alexandre Vialatte (1901-1971) a créé un genre littéraire qu’il a poussé à la perfection : la chronique.
Pour la Revue rhénane, le Crapouillot, l’Intransigeant, la Nouvelle Revue Française, Marie-Claire, le Journal de l’Est et pendant les dix-huit dernières années de sa vie pour le grand quotidien auvergnat La Montagne.
Tous les dimanches soir, Vialatte porte sa copie à la Gare de Lyon au train de 23h15. Alexandre le grand Vialatte parle de tout et de rien. Du temps, des animaux, d’une pièce de théâtre, d’un film, commente un lieu commun ou un proverbe. Il fera l’éloge du homard et autres insectes utiles.
« Vialatte touche le monde avec un plumeau. C’est ainsi que l’on devient indispensable (…) Rien ne le fascine autant que le monde en seconde main, celui qui est lu, approuvé et répertorié par l’écrit. La langue française entraîne tout le monde dans le même bateau, celui où vogue la chronique. » écrit Jean-Pierre Thibaudat dans Libération en 1987 lors de la sortie de « Eloge du homard et autres insectes utiles ».
Alexandre Vialatte parle bien sûr du temps, le perdu et le retrouvé, de la France, de ce dont nous parlons.
« Une chronique, il faudrait la faire pousser comme une herbe dans les fentes d’un mur, dans les pierres de l’emploi du temps ».
De lui qui termine toutes ses chroniques par « Et c’est ainsi qu’Allah est grand » on essaiera de faire un théâtre qui sera comme une promenade, une flânerie en philosophie, en morale et en humour d’une rare délicatesse.
Un demi-siècle observé, un temps perdu ici retrouvé.
Nous inventerons à partir de toutes ces choses un théâtre-chronique. Nous rirons de nous et du monde avec des pincettes.
Charles Tordjman
ALEXANDRE VIALATTE…
Né en 1901, germanophone, il est de 1922 à 1928 secrétaire de rédaction de La Revue Rhénane à Mayence , dans la zone occupée par les forces françaises. Il y découvre l’œuvre de Franz Kafka, dont il fut le premier traducteur de l’allemand en français.
En 1938, il est professeur de français au lycée franco-égyptien d’Héliopolis, près du Caire.
Il s’engage en 1939 et est fait prisonnier en Alsace en juin 1940, ce qui provoque en lui un effondrement psychologique qui le conduit à l’hôpital psychiatrique de Saint-Ylie, près de Dole.
Après avoir tenté de s’y suicider, il en sort en 1941. Cette expérience est relatée dans Le Fidèle Berger, roman du soldat qui sombre dans la folie à force de marcher et sera sauvé en pensant à la femme aimée. Son ami Henri Pourrat mentionne « ce bourg où Vialatte, en se retrempant chaque jour dans le limpide étang des Escures, écrivit en trois semaines Le Fidèle Berger, et, c’est le plus étonnant des livres de guerre parus durant la guerre, le plus profond. Celui où la colère, l’humour, la simplicité, la fidélité nous parle de plus près ».
En 1945, il est à nouveau correspondant en Allemagne, où il rend compte des procès de Nuremberg.
En 1948, il retourne à Ambert, puis s’installe à Paris (en face de la prison de la Santé). Il écrit, de 1952 jusqu’à sa mort en 1971, les 898 Chroniques publiées (à l’exception de 10) dans le journal quotidien auvergnat La Montagne. Ses boutades témoignent de son goût du non-sens :
« Le loup est appelé ainsi à cause de ses grandes dents. »
« Je suis un écrivain notoirement méconnu. »
« Pascal aimait tellement l’Auvergne qu’il naquit à Clermont-Ferrand. »
« En Auvergne, il y a plus de montées que de descentes. »
« L’homme n’est que poussière… c’est dire l’importance du plumeau ! »
« Sauf erreur, je ne me trompe jamais. »
Il finissait par ailleurs la plupart des articles qu’il rédigeait par la phrase : « Et c’est ainsi qu’Allah est grand », sans aucun rapport avec le sujet de l’article, mais témoignant parfaitement de son humour particulier et anticonventionnel.
Il tenait également dans les années 1960 une chronique régulière dans le magazine Elle : Le Paris des Parisiennes.
Ont été publiés d’Alexandre Vialatte : 13 recueils de chroniques (regroupées après sa mort dans le recueil en deux volumes des Chroniques de la Montagne), 2 recueils de poésie, plusieurs volumes de correspondance avec Jean Paulhan et Henri Pourrat, Jean Dubuffet notamment, la traduction en français de 9 œuvres de Franz Kafka et de 19 autres œuvres d’auteurs divers, ainsi que des chroniques illustrées.
SEMAINE APRÈS SEMAINE…
Semaine après semaine, de 1952 à 1971, Alexandre Vialatte a tenu parole. Sa chronique hebdomadaire dans un journal régional lui permet d’exprimer une fidélité sans faille envers une France, celle de son enfance, qui se défait sous ses yeux à force de réformes hâtives : « On brise tout parce qu’on veut faire du neuf. On a donc l’illusion de pouvoir tout remplacer. »
A la précipitation inutile, ce flâneur oppose le génie de la lenteur, les bienfaits du temps perdu. Dans sa course échevelée vers le progrès, le monde ne perd plus une minute pour se perdre…Vialatte prend le parti d’en rire et nous offre une cinglante caricature des « temps modernes ».
Sur son théâtre d’ombres circulent une multitude de petites silhouettes inquiètes et impuissantes, souvent de bien méchante humeur. L’homme se retrouve « absent de lui-même » : il commence par quitter sa propre langue en vouant au diable l’orthographe et la grammaire et « il finit par se quitter lui-même. » De toute façon, « on n’a plus le temps de savoir ce qu’on pense ». Et chacun, pour s’y retrouver, s’empresse de suivre « le prospectus général » où sont garanties par les media des idées calibrées et inoxydables, à tout usage.
L’humour de Vialatte sert de merveilleux corrosif pour ronger les conformismes les plus massifs. Pourtant, malgré ses chroniques successives et les malices de son imagination, l’écrivain se sent faiblir dans ce combat inégal contre le siècle.
Par son inquiétude et son impuissance, il se met à ressembler à ses silhouettes, à ses ombres et son rire se fait plus sombre. Parfois, l’angoisse devant la barbarie montante à travers le monde semble sonner le glas pour toute une civilisation.
Soixante ans nous séparent de son premier papier et quarante du dernier. Charles Tordjman nous prépare une surprise quand aujourd’hui, il veut jouer avec tout ce temps-là, faire entendre la voix encore trop méconnue de Vialatte. Clotilde Mollet, Christine Murillo et Dominique Pinon prendront à bras-le-corps cette parole déjà ancienne et la folie de notre époque : l’affrontement théâtral poursuivra sur quelques mètres carrés de bois le combat du chroniqueur de La Montagne, interrompu par la mort. En s’asseyant dans son fauteuil, le spectateur proche du lecteur d’autrefois pourra, à son tour, faire une halte d’un peu plus d’une heure pour écouter « le bruit du temps », partager les pensées et les rires redevenus vivants de l’auteur, faire face aux inquiétudes et aux impuissances présentes pour tenter de les dépasser demain…
Jacques Nichet
EXTRAITS…
Où allons nous ? Ma grand-mère en était fort curieuse. Elle se le demandait souvent. En même temps, elle levait les deux bras vers le ciel. Ensuite elle hochait la tête et revenait soulagée, de l’abîme entrevu (…). Au besoin pour se soulager un peu de ses visions si tragiques, elle prenait une pastille Valda ou acceptait un doigt de porto… (1955)
Nous avons une façon frivole de nous servir des chasses d’eau. Nous en tirons la poignée de céramique avec une froide indifférence. Est ce le trait d’une espèce pensante ? L’homme profond se demande qui inventa la chasse d’eau. D’une main il tire, de l’autre il pense ; l’homme profond est profond en toute chose. Et que se répond-il ? Il se répond à tort que la chasse d’eau a dû être inventée par quelque anglais à casquette plate de l’époque des premiers chemins de fer, car le confort moderne, en sa superstition, est chose d’origine anglaise, de date relativement récente et de vocabulaire britannique. (…) (1955)
Je viens de traverser la France ; elle est complètement vide. (…) ( 1961)
L’homme ne descend pas, il remonte. Il remonte au tarsier, une sorte de rat, avec des mains prenantes et des oreilles pointues (…) il est un peu déçu. Il ne s’attendait pas à descendre d’un rat. C’est trop petit. Mais les faits sont là et on ne va pas contre les faits : l’homme provient d’une espèce de rat ; ce n’est qu’une habitude à prendre. (1958)
Le chien, le rat, le lapin meurent pour la vitesse dans des fusées volantes ; ils meurent pour Mars, pour la lune, pour Vénus. On ne peut plus les retenir : en 1957 c’est une chienne Laïka ouvrière posthume de la science, décédée en plein ciel de gloire, et qui ne veut plus cesser de tourner ; en 1952, sept singes américains, et même cinq souris new -yorkaises , en 1957 : Albina , Moazina, Laïka encore, trois chiennes russes ; en 1958 la souris Mickey, américaine, perdue en mer ( qu’une souris même californienne se sent petite parmi l’océan !) ; la chienne russe Coquette, la souris Mia, perdue en mer, américaine ; les chiennes russess Belvianka et Piostray ; la souris Twikle, le singe Gordo, enfants de la bannière étoilée ; en 1959 à bord d’une fusée Jupiter les guenons Able et Backer, américaines d’âme et de naissance, et les chiennes russes Flocon de neige et Intrépide ; sans compter un lapin soviétique anonyme. Quelle hécatombe ! Quelle modestie ! Ils ne savaient même pas leur nom ! (1959)
Quand Hitler est mort, on n’en a pas bien profité. (1959)
L’autobus est nettement plus grand que l’homme. (1961)
L’homme s’envole, l’homme s’est envolé, Yuri Gagarine revient du ciel (son nom signifie canard sauvage). De grands espoirs sont nés en banlieue. Car bientôt l’homme s’en ira par bandes, en triangle, comme les cigognes, en chantant des chansons plaintives. Ses bataillons sillonneront le ciel, comme ceux des oiseaux migrateurs. On le suivra des yeux, il deviendra tout petit, puis disparaîtra dans l’espace pour s’installer dans les étoiles lointaines ou sur des îles artificielles, et la banlieue sera décongestionnée. On trouvera des appartements (…).
Et c’est ainsi qu’Allah est grand !
Alexandre Vialatte
Jacques Nichet…
Adaptation
Vincent Tordjman…
Scénographe
Il travaille à plusieurs échelles et dans différents domaines avec un même souci d’expérimentation et de recherche : scénographie de théâtre et d’opéra, architecture d’intérieur, design objet et mobilier. Il conçoit la scénographie au théâtre comme un laboratoire. Ses réflexion sur le rapport du spectateur à la scène, l’invention d’effets impliquant la technique du son, de la lumière ou de la vidéo, lui permettent de servir le texte d’une manière qu’il souhaite en même temps claire mais inattendue et non conventionnelle.
Pour Charles Tordjman il a notamment signé les décors de «Vers toi terre promise – Tragédie dentaire» de Jean-Claude Grumberg, «Slogans» de Maria Soudaïeva, «Anna et Gramsci» de Bernard Noël, «Eloge de la faiblesse» d’Alexandre Jollien, «Daewoo» de François Bon, «Je poussais donc le temps avec l’épaule» d’après Marcel Proust, pour l’Opéra de Nancy «Der Kaiser von Atlantis» de Viktor Ullmann, pour René Loyon «La fille aux rubans bleus» de Yedwart Ingey, pour Michel Didym «Face de cuillère» de Lee Hall. Dernièrement, pour Fran- çois Rodinson, il a créé la scénographie de «Classe» de Blandine Keller et celle de «La tête de l’homme», texte de Florence Pazzottu.
Clotilde Mollet…
Comédienne
Formée au Conservatoire National Supérieur de musique de Paris où elle a obtenu le premier prix de violon (en musique de chambre) et au conservatoire national d’art dramatique de Paris (classe de Jacques Lassale). Elle a joué au théâtre sous la direction notamment de Louis Charles Sirjacq, Jean Jourdheuil et Jean-François Peyret, d’Alfredo Arias, Jean-Pierre Vincent, Joël Jouanneau, Jean-Louis Hourdin, Jean-Luc Boutté, Hervé Pierre, Alain Milianti, Catherine Anne, Alain Ollivier, Michel Froehly.Avec Daniel Jeanneteau et Hervé Pierre, elle a créé Le Gardeur de troupeau au Havre en octobre 2000. La même année, elle a joué dans Bastringue à la Gaieté théâtre de Karl Valentin, mis en scène par Daniel Martin et Charles Tordjman.
Et, dernièrement, elle a joué sous la direction de Daniel Jeanneteau et de Michel Didym, Fernando Pessoa : (CAEIRO!) mise en scène collective de Gilles Privat, Cécile Bon, Daniel Jeanneteau, Hervé Pierre, Marie Christine Soma, Clotilde Mollet.Jean Luc Lagarce : (Juste la fin du monde) mise en scène de François Berreur.Au cinéma, elle a joué dans des films de Colline Serreau, Jacques Audiard, Mathieu Amalric, François Girard, Stéphane Brize, Claire Simon et Jean-Pierre Jeunet.A la télévision, elle a tourné sous la direction de Marco Pico et de Alain Tasma.
Christine Murillo…
Comédienne
A travaillé notamment sous la direction théâtrale de Jean-Paul Roussillon, Jean-Luc Boutté, Jean-Pierre Vincent, Jacques Lassalle, Claude Régy, Alain Françon, Jean-Marie Villégier, Jacques Weber, Jean Dautremay, Alfredo Arias, Jean Jourdheuil et Jean-François Peyret, Bérangère Bonvoisin, Andrei Konchalovski, Maurice Bénichou, Jacques Nichet, Denis Marleau, Jean-Baptiste Sastre, Michel Didym, Anne Dimitriadis, Christian Colin, Yves Beaunesne, Denise Chalem, Lucio Mad, Patrice Kerbrat, Charles Tordjman et Laurent Pelly.
Et sous la direction cinématographique de : Coline Serreau, Paul Vecchiali, Gérard Oury, Gérard Mordillat, Jacques Fansten, Marcel Bluwal, Caroline Huppert, Fabrice Cazeneuve, Catherine Corsini, Josée Dayan, Marco Pico, Bernard Sobel, Ariane Mnouchkine, Aki Kaurismäki, Tilly, Christine Carrière, Jean-Pierre Ronssin, Benoît Jacquot, Marie Vermillard, Romain Goupil, Joël Brisse, Brigitte Roüan, Bruno Gantillon, Joyce Bunuel, Francis Girod, Anne Le Ny, Jean-Pierre Améris et Albert Dupontel.Sociétaire de la Comédie-Française jusqu’en 1988, elle a reçu deux « Molière » :
- le Molière du Second Rôle 1989 pour Macha dans La Mouette, mise en scène par Andrei Konchalovski, et le Molière de la Meilleure Comédienne 2005 pour Dis à ma fille que je pars en voyage de Denise Chalem.
Elle co-écrit avec Jean-Claude Leguay et Grégoire Œstermann “le baleinié, dictionnaire des tracas », dont les tomes 1, 2, et 3 sont parus aux Editions du Seuil, inspirant deux spectacles, XU * et OXU *, joués respectivement en Janvier 2006 et avril 2009, au Théâtre du Rond-Point, puis au Théâtre de la Pépinière en 2010.
* xu : objet bien rangé mais où ?
* oxu : objet qu’on vient enfin de retrouver et qu’on reperd aussitôt
Dominique Pinon…
Comédien
Il a travaillé au théâtre notamment avec Laurent Frechuret, Xavier Gallais, Claudia Stavisky, Valère Novarina, Mohamed Rouahbi, Yannis Kokkos, Michel Raskine, Zabou Breitman dans L’hiver sous la table pour lequel il obtient le Molière 2004 : Meilleur Comédien, Renaud Cojo, Franck Hoffman, Jorge Lavelli et Gildas Bourdet.
Au cinéma, il a commencé avec Arthur Joffé dans un court métrage pour lequel ils ont reçu la Palme d’or du Court Métrage à Cannes 1980.
Puis il a travaillé avec entre autres, J.J. Beneix, Jean-Pierre Jeunet et MarcCaro, Diane Bertrand, Ermmano Olmi, Zabou Breitman, Manuel.